Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. Avant de se pencher sur la formule du succès de Toopi et de son déploiement sous nos latitudes, il faut, pour comprendre le parcours de la scale-up française, partir à la rencontre de François Gérard, Gaumais, petit-fils d’agriculteurs et ingénieur en agronomie tropicale diplômé de la haute École Charlemagne à Huy. L’histoire commence lorsque celui-ci, alors préparateur en laboratoire et inscrit à des cours de gestion à HEC, intègre un projet de recherche First Spin-off à l’ISIA, l’Institut Supérieur Industriel Agronomique de Huy. L’objectif ? Développer un photo-bioréacteur à croissance bactérienne en vue de produire et commercialiser une gamme de produits destinés à l’alimentation animale valorisant l’ensemble des propriétés biologiques des bactéries pourpres. Autrement dit, une solution d’alimentation animale biologique qui permet par exemple de garantir sa belle couleur rosée au saumon de culture ou son teint doré au poulet d’élevage sans avoir recours à des additifs chimiques, comme c’est aujourd’hui le cas dans l’industrie.
Une recherche de six ans aux nombreux débouchés qui ne trouvera finalement pas de rentabilité opérationnelle. Elle a néanmoins permis au jeune homme de nouer de nombreux contacts dans l’écosystème agronomique wallon : du VentureLab où le projet est incubé à la Faculté de médecine vétérinaire en passant par l’organisme d’accompagnement des entrepreneurs Eklo et les différentes écoles d’agronomie de Wallonie, sans oublier la Foire agricole de Libramont. Invité en 2019 par Idelux pour y présenter son projet start-up, il y fait la connaissance de Michael Roes venu présenter ses recherches sur les propriétés agronomiques de l’urine humaine. Entre les deux hommes, le courant passe tellement bien qu’à la fin du séjour, Michael, qui vient de fonder Toopi Organics, propose à François de rejoindre l’aventure. Pour François, c’est le début d’un nouveau chapitre : « Ça a tout de suite matché avec Michaël. Il était intéressé par mon double profil agro et business. Mon projet sur les bactéries pourpres se terminait et le timing était bon. Je suis descendu dans le Sud-Ouest, à Langon, et c’était parti ».
Quinte Flush
Sensible aux problématiques d’appauvrissement des sols liées à l’agriculture intensive, à l’épuisement des ressources chimiques nécessaires à la production d’engrais minéraux et aux phénomènes de sécheresse qu’induit le réchauffement climatique, la start-up bordelaise fondée par Michael Roes entend répondre à ce triple problème en s’appuyant sur deux autres : l’utilisation (et le gaspillage) d’eau potable pour évacuer l’urine humaine dans les systèmes d’égout et l’épuration qu’elle induit. Un petit geste quotidien loin d’être anodin quand on sait qu’à l’échelle européenne, ce sont près de 200 milliards de litres d’urine humaine qui sont évacués chaque année, pour un total de 6.000 milliards de litres d’eau potable jetés dans les toilettes européennes. Une catastrophe écologique que le jeune entrepreneur entend transformer en mine d’or, en récoltant l’urine d’un côté et en s’en servant comme substitut aux engrais traditionnels de l’autre. Sauf qu’en tant que telle, l’urine humaine ne contient pas suffisamment de nutriments pour nourrir les plantes. D’où l’idée de Michael de s’en servir non pas directement comme un engrais, mais comme un biostimulant :
L'urine constitue un excellent milieu pour cultiver des micro-organismes d'intérêt agronomique. Ces micro-organismes peuvent solubiliser le phosphore du sol, capter l'azote atmosphérique ou protéger les cultures du stress hydrique - Michael Roes, Fondateur de Toopi Organics.
Un pitch clair et précis qui s’appuie sur la valorisation de l’urine comme une ressource et non comme un déchet, ce qui contribue à préserver l’eau épurée tout en diminuant le recours aux engrais minéraux en préservant les sols et en renforçant les plantes. Une solution écologique qui permet aux agriculteurs de réduire leur empreinte carbone et qui se double d’une innovation économique significative offrant de meilleurs rendements pour les producteurs, chiffres et brevets à l’appui.
Après des années de R&D, la société dispose désormais de suffisamment de recul pour démontrer la valeur ajoutée de son premier produit : un biostimulant racinaire appelé Lactopi Start, qui est le résultat d’un procédé unique de stabilisation, d’hygiénisation et de fermentation de l’urine humaine. Fondé sur la souche bactérienne lactobacillus paracasei, celui-ci a pour effet de solubiliser le phosphore présent dans le sol (et faciliter son assimilation), de stimuler le système racinaire des plantes en culture (et d’encourager leur accès à l’eau et aux nutriments) et stimuler la mycorhization (qui permet une meilleure exploitation du sol). Trois vertus cardinales qui, combinées, permettent de réduire les intrants tout en préservant les rendements ou, toutes choses étant égales, augmenter la productivité. Des résultats encourageants sur base desquels Toopi entend bien évangéliser l’Europe, en commençant par la Belgique.
Les premiers résultats montrent qu’une utilisation de notre solution Lactopi Start à raison de 25 litres par hectare permet d’augmenter le tonnage de la production jusqu’à 12% dans le cas de la betterave sucrière par rapport à une fertilisation classique - François Gérard, Directeur Benelux de Toopi Organics.
Partenaires particuliers
Dès 2020, François se voit confier une triple mission pour la zone Benelux : mettre en place un réseau de collecte pérenne et local de l’urine, assurer son acheminement vers un centre de transformation et distribuer le biostimulant auprès des agriculteurs de la région. Une tâche colossale alors que la filière n’existe pas et que tout est à faire. À commencer par obtenir l’autorisation de mise sur le marché pour un produit innovant qui échappe au canevas habituel. En la matière, l’expérience et le réseau du jeune homme se révèlent être de précieux atouts.
Contrairement à la France, la Belgique, et a fortiori la Wallonie, constitue un petit écosystème à taille humaine où tout le monde se connait de près ou de loin. C’est d’autant plus vrai pour François, qui a multiplié les chapelles au fil des ans et qui trouve avec Toopi l’occasion de mobiliser le réseau tissé dans le cadre de son projet de recherche antérieur. Très rapidement, les planètes s’alignent. « Je fonctionne par opportunité, confie François. Je n’ai pas peur d’aller rencontrer les gens et de brasser large. C’est par exemple la raison de ma présence à La Grand Poste où j’ai rejoint l’accélérateur Start It @CBC qui met à disposition des participants un solide réseau : l’idéal quand on souhaite se déployer. C’est aussi comme ça que j’ai fait la connaissance d’Alain Balthazart, Investment Manager chez Noshaq, que j’ai rencontré lors de 20 ans d’Eklo et qui est aujourd’hui devenu un pilier du projet ».
Pour la distribution, François reprend contact avec Étienne Tavier, responsable spécialités et engrais UAB auprès de la SCAM, la Société Coopérative Agricole de la Meuse qui rassemble 2.400 coopérateurs wallons et plus de 4.000 exploitations à travers le territoire. Impressionnée par les premiers résultats de Toopi, ainsi que par ses engagements en termes de circularité, la coopérative décide de référencer le biostiumlant Lactopi Start tandis qu’en parallèle, la Belgique autorise la mise sur le marché des biostimulants urino-sourcés d’origine humaine. Une première à l’échelle mondiale. En 2023, le premier produit de Toopi Organics, désormais utilisable en bio, arrive en Belgique en bénéficiant du réseau de distribution de la SCAM.
Au printemps, la société honore une première commande de 10.000 litres de biostimulant destinés aux cultures de maïs, de betteraves, de pommes de terre et de chicorées. À l’automne, une seconde commande de 10 000 litres est livrée pour application sur du colza. Au total, en 2023, ce sont 800 hectares traités dans toute la Wallonie, avec de très bons résultats. Une prouesse que François explique par une culture de travail propre à la Belgique où la proximité permet d’avancer rapidement :
De manière générale, plus on va au nord, plus la sensibilité pour le durable est forte. Et vu du Sud-Ouest, la Wallonie c’est le nord dynamique, ce à quoi il faut ajouter la simplicité et la convivialité des échanges. Contrairement à la France, la Belgique est un petit pays, ce qui permet d’aller plus vite et d’être plus réactif. Ici, il suffit parfois d’un coup de fil pour joindre un responsable politique. En Belgique, c’est un peu le meilleur des deux mondes - François Gérard.
Une implantation wallonne qui permet aussi de toucher la Flandre via la SCAM. Un territoire où François Gérard entend renforcer la présence de Toopi dans les années à venir, au même titre que les Pays-Bas. Deux zones où les enjeux azotés sont particulièrement critiques et pour lesquels la jeune pousse française apporte une solution.
Piss & Love
Niveau récolte, François a également multiplié les initiatives sous nos latitudes, tandis que Toopi peut se targuer d’avoir à ce jour collecté l’urine de près de deux millions de citoyens européens en 2023. Parmi les cibles privilégiées de la scale-up : les festivals, où l’urine est récoltée et stabilisée sur place et dont les organisateurs et prestataires ne sont que trop heureux d’avoir trouvé en la start-up un acquéreur qui leur évite d’avoir à payer des frais de traitement qui leur incomberaient autrement. Une solution Win-Win qui permet à Toopi de récolter ponctuellement de grands volumes et que François a à cœur de pérenniser pour l’ensemble du Benelux, où les festivals sont nombreux. En Belgique, la société peut notamment s’appuyer son partenariat avec WC Loc Belgique qui gère les toilettes pour plusieurs festivals de renom à travers le pays, ainsi que, plus récemment, la Foire agricole de Libramont.
Toopi Organics ne récolte que l’urine humaine. C’est principalement celle-ci qui part à l’égout. Et si cette dernière ne représente qu’un pour cent des eaux usées, elle contient 50 à 80% des nutriments les plus difficiles à traiter en station d‘épuration. Écologiquement parlant, c’est ce qui en fait notre priorité.
En parallèle, François cherche aussi à développer un réseau d’infrastructures, en plaçant directement des urinoirs masculins et féminins propices à la collecte dans les lieux à forte fréquentation, comme dans une école de Waterloo où un projet est à l’étude. C’est qu’en matière de collecte de l’urine, les choses bougent vite, très vite. « Aujourd’hui, la collecte est stable, mais on doit veiller à éviter les goulets d’étranglement. Dans l’événementiel, c’est assez simple, mais équiper des bâtiments nous permet d’assurer un approvisionnement régulier tout en diminuant l’empreinte environnementale de ces derniers. C’est d’ailleurs une pratique qui est en train de se généraliser. Il suffit pour s’en convaincre de regarder le nouvel écoquartier de Paris où une collecte séparative est prévue. Actuellement, Toopi Organics est seul sur le marché, mais à un moment ou un autre, d’autres personnes voudront aussi collecter l’urine. On profite donc d’être les premiers pour s’assurer une position de choix ». Une manière aussi d’assurer la croissance de la société dans les années à venir.
Toopi au pays de l’or jaune
Sûr de son produit, Toopi Organics est déterminé à passer à la vitesse supérieure et voit désormais les choses en grand. Au cours des derniers mois, la scale-up a multiplié les rendez-vous avec les investisseurs pour lever des fonds en vue de financer ses ambitions de croissance.
En septembre 2023, la société a d’ailleurs bouclé une série A de 11 millions d’euros menée par le fonds VisVires New Protein et à laquelle Noshaq a participé. Un tour de table complété par un apport de 5M€ de fonds non-dilutifs obtenus auprès de l’Agence française de la transition écologique (ADEME) et de Bpifrance. Ces moyens additionnels doivent permettre de poursuivre la commercialisation du Lactopi Start en France, en Belgique et au-delà, Toopi disposant désormais d’une autorisation de mise sur le marché dans cinq pays européens. Un tour de table dont le principal objectif est de financer deux usines de traitement de l’urine : une première en France à l’horizon 2025 et une deuxième en Belgique, en région liégeoise. De quoi aussi poursuivre la R&D pour pousser de nouveaux produits, dont trois nouveaux biostimulants urino-sourcés, comme l’explique Alexandra Carpentier, Normalienne, ingénieure du Corps des Ponts qui a rejoint Toopi en 2021 comme Directrice générale :
Notre premier produit a fait l’objet de plus de 40 essais agronomiques au cours des trois dernières années. Il a reçu le feu vert des autorités réglementaires et est désormais utilisable en agriculture biologique. La commercialisation a commencé cette année en Belgique via la coopérative agricole SCAM. Les relevés réalisés cet été chez les agriculteurs sur le maïs et la betterave sont très prometteurs, et une nouvelle commande vient d’être livrée. C’est de très bon augure pour la commercialisation en France que nous venons d’amorcer avec le distributeur Qualifert - Alexandra Carpentier, Directrice générale.
Un enthousiasme que partage François, pour qui l’objectif est bien de s’imposer comme le leader européen d’un marché en pleine structuration. En deux ans, la société est passée de quatre employés à une trentaine de personnes. Elle devrait encore en recruter une dizaine d’ici la fin de l’année. Et François de détailler les différents produits aujourd’hui à l’étude : après le Lactopi Start, Toopi devrait bientôt étoffer sa gamme avec des biostimulants urino-sourcés mobilisant des bactéries différentes afin de favoriser la captation de l’azote atmosphérique ou encore de lutter contre les stress abiotiques par exemple.
Petit à petit, on va se rendre compte qu’on a perdu le réflexe de la circularité. À un moment donné, on a eu l’idée folle d’envoyer tout dans les égouts, qui plus est avec de l’eau potable. Chez Toopi, nous avons bon espoir de faire en sorte que la collectivité réalise l’aberration que ça représente et le potentiel de circularité totale des excrétas.
Une prise de conscience qui semble plus que jamais gagner du terrain et les mentalités. En témoigne tout récemment la nomination de la scale-up bordelaise pour une subvention européenne de 8,4 millions d’euros par l’Accélérateur EIC, le programme phare de l’Europe pour les startups deeptech. Soit une subvention de 2,4 millions d’euros, ainsi que 6 millions d’euros de capitaux qui seront investis en 2025. De quoi, entre autres, poursuivre la mission d’évangélisation de la société, au travers de la mise en place de 120 essais agronomiques dans 6 États membres : la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Espagne, le Portugal et l’Italie #Urinatedindiversity
À propos de Toopi Organics
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