In cacao veritas

13 février 2024

Liberté, égalité, rêve partagé

Fière et résiliente, mais aussi incroyablement généreuse et savoureuse, la chocolaterie Galler est à l’image des produits qu’elle propose et du rêve qu’elle bâtit : celui d’un monde où l’alignement des intérêts a remplacé les rapports de force, un bâton de chocolat à la fois. Laboratoire de la mondialisation, la filière cacao porte en elle la fève de nombreuses injustices. Un paradoxe pour un produit associé au plaisir que conteste une équipe libérée, prête à relever ses manches pour faire la différence. Pour en parler, nous sommes partis à la rencontre de deux de ses copilotes, Salvatore Iannello et Valérie Stefenatto.

Galler, libre dans sa tête

 

Difficile de parler de l’histoire récente de la chocolaterie Galler sans commencer par celle de Salvatore Iannello. Ancien directeur général revenu d’un tour du monde en voilier, l’homme accepte en 2019 de reprendre les commandes de la chocolaterie à la condition de pouvoir repenser l’ensemble de son organisation. Et mener en parallèle un projet visionnaire né de la réflexion qu’il a entamée durant ses pérégrinations en haute mer. Pour ce Liégeois plein de gouaille, le constat est sans appel : la filière du chocolat est une des plus injustes au monde. Pour aller de l’avant, il faut remettre l’individu au centre de la chaîne de valeur. Une lecture humaniste qui ne transige ni sur le plaisir, indispensable dans un secteur de bouche, ni sur le profit, condition sine qua non de la pérennité de l’entreprise, et avec elle celle de ses producteurs, distributeurs ou employés. Un moyen donc, pas une fin en soi.

Un projet d’entreprise qui sonne presque comme un manifeste et qu’incarne bien malgré lui Salvatore. Bien malgré lui car n’en déplaise à ceux qui voudraient lui accoler l’étiquette de CEO omnipotent, l’homme s’en défend. Au sein de l’organisation, il est copilote : une des trois fonctions que se partagent les 170 travailleurs de l’entreprise. Une organisation libérée où les décisions stratégiques sont prises collégialement et où la résultante est supérieure à la somme des parties. Hors de question d’ailleurs pour le copilote général de participer à la rencontre seul. Pour parler de la chocolaterie, il souhaite a minima intervenir en duo. Et pour l’occasion, c’est avec Valérie Stefenatto, copilote markéthique (un néologisme cher à l’organisation), communication et people que nous organisons la rencontre.

J’ai toujours eu une sensibilité sociale, et privilégié l’intelligence collective en tant que dirigeant tout en sachant par le passé que je pouvais trancher unilatéralement, ce qui empêchait une véritable remise en question. Aujourd’hui, j’ai la conviction que pour changer le monde, il faut sortir des logiques de rapport de forces, à la faveur d’un nouveau paradigme, celui de l’alignement des intérêts

Salvatore Iannello – copilote général de la chocolaterie Galler.

Un vocabulaire qui tranche avec les standards corporate habituels et qui est tout sauf une vitrine sémantique, comme l’explique Valérie Stefenatto qui, en près de vingt ans chez Galler, peut témoigner des évolutions de l’entreprise : « Quand on parle de Galler comme une chocolaterie indépendante, ce n’est pas uniquement pour exprimer notre côté frondeur festif et principautaire. C’est aussi et surtout pour témoigner de cette vision nouvelle et de ce mode d’organisation qui nous tiennent à cœur et qui se retrouvent tout au long de notre projet d’entreprise ». Et Valérie d’évoquer la stratégie de Galler en quatre P, pour profit, people, planet, et purpose.

 

« Bien entendu, nous ne diabolisons pas le profit. Au contraire, c’est le nerf de la guerre. Avant de réfléchir à partager la valeur, il faut la créer, et donc, gagner de l’argent. Mais au traditionnel P de Profit, nous en ajoutons d’autres, qui sont également des vecteurs de valeur. Ce sont les P de People, nos collaborateurs en interne et en externe, en ce compris les cacaoculteurs en amont de la chaine de production, et le P de Planet, pour faire écho à nos engagements de durabilité ». Un triplé profit, people, planet auquel s’ajoute le P de Purpose, qui en fait la synthèse, explique Valérie. « C’est notre raison d’être. Un nouveau modèle d’entreprise basé sur la convergence d’intérêts à travers des engagements forts ».

 

Chaine de valeurs

 

Des paroles enthousiastes soutenues par des actes concrets. À commencer par l’engagement proactif de la chocolaterie aux côtés des cacaoculteurs, qu’elle accompagne dans leur parcours d’émancipation. Engagée dans une démarche Fair Trade rigoureuse, la chocolaterie souhaite aller de l’avant en se fixant ses propres standards. À titre d’exemple, Galler est impliquée dans deux programmes conjoints au niveau belge : People Planet and Cocoa, qui encourage la diversification et l’autonomisation des cultivateurs de cacao tout en les orientant vers des cultures plus responsables, et Virtuose Beans, qui a pour objectif de travailler sur l’ensemble de la filière pour la rendre plus équitable et plus écologique. Et Salvatore de citer aussi le projet d’agroforesterie mené avec la faculté de Gembloux de l’ULiège et qui vise à potentialiser le cacaoyer en développant des programmes de reforestation qui ont pour conséquence d’assurer un ombrage et des nutriments nécessaires à la culture tout en ouvrant des perspectives de revenus complémentaires issues de la sylviculture.

En tant qu’entreprise, nous avons une responsabilité. Dans un monde où l’économique a pris le pas sur le politique, c’est aux acteurs économiques qu’incombe le devoir d’initier le changement.

Salvatore

Des initiatives parmi d’autres, reprises par Galler dans son rapport RSE et sur lesquelles la chocolaterie communique en toute transparence. Des engagements structurels que l’entreprise se refuse à voir comme une charge additionnelle, mais sur lesquels elle entend au contraire capitaliser.

Tout l’enjeu est de construire notre image de marque autour de nos engagements et d’entrer en dialogue autour de celle-ci. À court et moyen terme, la transition à un coût pour l’entreprise, mais nous nous positionnons sur le temps long, avec la conviction qu’à l’horizon, c’est ceux qui ne s’inscriront pas dans cette démarche qui connaitront un désavantage. Notre objectif n’est pas tant de nous démarquer en raison de comportements vertueux mais bien de faire évoluer le secteur pour faire en sorte que ceux qui ne le sont pas encore s’alignent.

Valérie Stefenatto, copilote markéthique

Et pour cela, la copilote markéthique a un plan : transformer les consommateurs en consomm’acteurs, autre néologisme cher à l’entreprise. « Il faut communiquer avec les clients, pour créer suffisamment de valeur ajoutée afin d’autoriser un partage de valeur différent ». Une bonne vieille histoire de tarte en somme. Plutôt que de s’arracher les cheveux sur la manière de partager la valeur, qui se fait traditionnellement en rognant sur les marges des autres, il faut faire grandir le gâteau, c’est-à-dire créer de la valeur additionnelle. Et pour Galler, cela passe par le promesse d’un produit savoureux, équilibré sur le plan nutritionnel, accessible financièrement et consciencieux, c’est-à-dire éthique et durable. « Quand je croque dedans, je dois me dire miam, c’est bon, tout en sachant que j’investis dans un projet et que je ne mange pas une crasse comme on dit à Liège », sourit Valérie.

Un paradigme de la valeur absolue dans lequel croit fermement le duo, qui remplace volontiers les considérations de luxe, subjectives et construites sur la rareté d’un produit, par celles de qualité, qui sont objectives. La question n’est donc pas tant de s’offrir un petit luxe qu’un bon chocolat.

 

Chaud cacao

 

Changer les mentalités plutôt que de transiger sur la qualité… Si la formule laisse rêveur, elle a aussi des airs de quadrature du cercle. Pour Salvatore, la solution est belle et bien là et Galler est sur la voie, mais elle implique d’atteindre une certaine masse critique pour avoir les coudées franches : « Chez Galler, cela veut dire encore augmenter notre chiffre d’affaires, soit en prenant des parts sur nos marchés historiques, soit en augmentant notre internationalisation ». Une question qui, comme pour le reste, sera débattue en interne.

Nous avions un plan à partir d’une verticalité et d’un ancrage des ventes sur nos segments historiques. Avec l’inflation que nous avons connue ces dernières années, le monde a changé. Le prix du chocolat est aujourd’hui à un niveau historique. La fève de cacao n’a jamais été aussi chère, et cela va continuer

Salvatore
Cacao

Une envolée des coûts qui plaide pour l’approche qualitative défendue par Galler, qui a réussi à transformer un risque en une opportunité de marché mais qui n’en reste pas moins un challenge pour le projet d’exemplarité porté par la chocolaterie. « Face à de tels changements exogènes, il faut pouvoir se montrer créatif », poursuit Valérie, qui pointe par ailleurs les ressources dont dispose Galler : « Une des réalités avec lesquelles nous devons composer, c’est que Galler est un grand petit, et un petit grand. Nous sommes une PME, à mi-chemin entre l’artisan et la multinationale. C’est une des raisons qui nous amène aujourd’hui à vouloir nous étendre sur des marchés internationaux, comme le Canada ou les États-Unis ».

Un contexte agroalimentaire tendu où tout le monde semble pris à la gorge, du producteur au distributeur et qui rappelle l’impératif de changer de modèle. Un contexte dans lequel il faut aussi se méfier des fausses vérités. « Il ne suffit pas de parler de transition pour aller dans le bon sens, défend Valérie. Encore faut-il se poser les bonnes questions. Analyser sa propre situation, se faire auditer et agir là où ça compte. Faire les choses pour du vrai, au risque de créer une forme de lassitude chez les consommateurs ». Même son de cloche quand on interroge Galler sur sa base actionnariale et sur l’investisseur privé qatari en son sein. Pour Salvatore, tout est une question de personne et d’interlocuteur. « Chez Galler, la personne qui représente l’actionnariat qatari est alignée avec le projet d’entreprise, formalisé dans un pacte d’actionnaire ». Une sensibilité humaine partagée qui vient appuyer la démonstration de la profitabilité de l’entreprise. Des règles du jeu auxquelles se plie volontiers le copilote, qui souligne au passage que depuis que Jean Galler a revendu ses parts dans l’entreprise en 2011, celle-ci n’a jamais été aussi belge qu’à l’heure actuelle, soit près de 40%. Et Salvatore d’appeler aussi à regarder plus loin que les indicateurs purement financiers. « Malgré ce que l’on dit, pour moi, l’entreprise est une entité semi-publique. Avec l’impact social que l’on a, on n’est jamais pleinement privé. Il suffit de considérer le choc causé par les inondations de juillet 2021 et la manière dont la chocolaterie a fait front. Sans apport de capital, on n’aurait pas pu se relever, sans le personnel non plus. C’est un combat que chacun a porté à bras-le-corps ».

Un été dont tout le monde se souvient encore ici, à Vaux-sous-Chèvremont, et qui, plus que jamais, a renforcé Galler dans son ancrage local. « Nous sommes une chocolaterie belge et principalement liégeoise », insiste Valérie, qui a pris le pli de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Elle préfère se remémorer l’élan de solidarité qui a suivi les inondations et les effets sur la notoriété de l’entreprise. « On a eu de belles retombées médiatiques qui ont souligné l’humanité de la chocolaterie et son ancrage local. De notre côté, ça nous a poussé à ouvrir davantage les portes de la chocolaterie, à montrer notre savoir-faire ».

Une feel good attitude dont témoigne la boutique attenante à la chocolaterie où on passe volontiers une tête avant de se quitter, le temps d’inviter l’équipe présente à se joindre à nous pour une photo collective. Une résilience à tout épreuve qui ne nous empêche pas de demander à Salvatore si, tout de même, ça ne lui manque pas de reprendre la mer à la barre de son navire. Et celui-ci de partir dans un grand éclat de rire : « Alors ça mon ami, j’aime autant te dire… »

 

À propos de la chocolaterie Galler

 

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