En apesanteur

19 mars 2024

A Star Is Born

Si Benoît Deper passe une bonne partie de ses journées la tête dans les étoiles, le jeune CEO n’en a pas moins les pieds bien ancrés sur terre. Produit wallon de la Silicon Valley passé par la NASA et l’ESA, c’est de son observation sans concession des grandes agences spatiales qu’il a imaginé le fonctionnement d’Aerospacelab : fabriquer des satellites hyper compétitifs, sans transiger sur les performances. Une prouesse rendue possible grâce à des ingénieurs de haut niveau, une verticalisation de la production et une gouvernance no nonsense. Une vision claire, alimentée par des ambitions stratosphériques qui se traduisent par une croissance éclair et valent à la jeune société d’entamer la construction, à Charleroi, de la plus grande usine de satellites en Europe et la troisième à l’échelle mondiale, après SpaceX et Amazon.

(Not) Rocket Science

 

À mi-chemin entre la start-up playful et le bureau d’étude aseptisé, Aerospacelab incarne la dualité du projet porté par Benoît Deper, où Nintendo Switch, sofas et Spirou magazines à la machine à café tranchent avec des bureaux classiques, où des impressions laser A4 de Pokémons aux noms variés servent à identifier les différentes salles de réunions. Déménagement oblige, la société a paré au plus pressé. Un style de vie no bullshit qui va à l’essentiel et dont l’entrepreneur a fait un mantra aujourd’hui à l’origine de sa success story.

Ingénieur dans de larges structures, Benoît s’e­st rapidement retrouvé aux premières loges pour observer toute la complexité et l’inertie dont peuvent faire preuve les grandes institutions, autour desquelles s’agite une galaxie de PME spécialisées et d’ensembliers. Un constat sans appel vis-à-vis de la bureaucratie qui a poussé le jeune entrepreneur à repenser le modèle, en partant de son expérience dans la Silicon Valley, où la prise de risque et le souhait d’innover priment sur les procédures longues et fastidieuses. C’est que Benoit Deper préfère consacrer ses ressources humaines à produire directement ce dont il a besoin et à maitriser sa chaine de production en vue de garantir des performances optimales et des coûts maitrisés.

Aerospacelab

L’industrie spatiale est historiquement construite sur des partenariats et des montages industriels alambiqués, ce qui est très rapidement insupportable

Benoît Deper, CEO d’Aerospacelab.

Un réalisme que rien ne semble pouvoir faire dévier de sa trajectoire : « Je me suis dit que ça n’avait pas l’air si compliqué que ça, au final, de travailler seul, alors j’ai décidé de créer Aerospacelab. Et très rapidement, on s’est rendu compte que les performances étaient au rendez-vous ». Une approche qui n’empêche pas la société de collaborer avec des tiers pour tout ce qui échappe à son champ d’action, comme lorsque Aerospacelab travaille avec SpaceX, l’entreprise d’astronautique fondée par Elon Musk : « Nous ne développons pas de fusées pour l’envoi de nos satellites en orbite, nous nous sommes donc tournés vers SpaceX, avec qui la relation est très simple : nous payons pour un service qu’ils proposent ».

 

Harder, better, software

 

Initialement, le projet d’Aerospacelab consiste donc à produire en série et avec des coûts maîtrisés de petits satellites destinés à l’orbite terrestre basse en vue de répondre à une demande croissante. Une tendance de fond qui s’inscrit dans ce que certains qualifient de New Space, soit une ouverture des grands acteurs institutionnels tels que la NASA et l’ESA aux sociétés privées, non plus uniquement en tant que fournisseurs de matériel, mais en tant que prestataires de services. Un changement de paradigme qui se traduit par un investissement croissant du secteur privé dans la course aux étoiles et dans lequel s’inscrit pleinement Aerospacelab.

Ça reste un secteur étroitement lié au public, mais si on prend le cas de SpaceX, ce qui a changé, c’est que la NASA, plutôt que de s’imposer comme chef de projet, a accepté de fonctionner avec des appels d’offres, notamment pour l’envoi d’astronautes dans l’espace. La NASA a établi le cahier de charges, mais a laissé l’industrie fabriquer le véhicule, ce qui a eu pour résultat de diviser le coût par dix.

Parmi ses clients, la société de Mont-Saint-Guibert compte aujourd’hui un panel assez varié. De la start-up sortie de Y Combinator aux organismes gouvernementaux. Il faut dire qu’en cours de route, la gamme de services et de satellites proposée par Aerospacelab s’est sensiblement étoffée. « La taille des satellites est fonction des lanceurs disponibles pour les mettre en orbite. Nous avons commencé avec des satellites de 20kg et nous sommes progressivement montés en taille, avec des satellites de 150kg, et bientôt 500kg, mais nous restons sur des méthodes inspirées des petits satellites, où la complexité fait le prix ». Après Arthur et Grégoire, du nom des deux enfants de Benoît Deper, et PVCC, le dernier satellite envoyé en orbite a été baptisé SPIP, pour « multiSPectral Imagery Prototype ». Un clin d’œil assumé à l’écureuil le plus célèbre du Royaume, repris sur le badge de mission, en accord avec les Éditions Dupuis – Carolo un jour, Carolo toujours ?

Aerospacelab

Ce satellite multispectral est encore un prototype, mais les premières images reçues, pas encore rendues publiques, suscitent déjà le plus grand intérêt. Muni de capteurs particulièrement fins, celui-ci, destiné à être multiplié pour composer une constellation, fournit des services d’imagerie extrêmement précis qui doivent, entre autres, venir compléter les données récoltées sur la biomasse par les satellites Sentinelle de la Commission européenne. « Les satellites Sentinelle 1 et 2 sont deux gros satellites qui sont un peu les chevaux de trait de l’espace pour l’agriculture et la biomasse en Europe. Ils ne disposent toutefois pas d’un niveau de zoom suffisant pour une analyse subparcelaire. De plus, ils ont un taux de revisite hebdomadaire, c’est-à-dire qu’ils ne passent qu’une fois par semaine partout dans le monde, ce qui pose problème là où la couverture nuageuse est importante. En multipliant les satellites, Aerospacelab peut nettement améliorer les résultats ».

 

Des services de pointe dans un one-stop-shop que la société est aujourd’hui la seule en Europe à proposer et pour lesquels elle peut compter sur les doigts d’une main ses concurrents dans le monde. Des concurrents hautement courtisés par les grands groupes, ce qui a pour résultat de les vider de leur essence, s’amuse Benoît Deper : « Nos performances ne sont pas différentes, voire même, on fait mieux, mais nous nous démarquons clairement sur le prix. Nous travaillons au prix réel, là où les autres surfacturent pour couvrir des frais de structure exorbitants. J’en veux pour preuve que nos concurrents, qui pratiquaient des tarifs proches des nôtres, ont connu une explosion de leurs prix une fois rachetés, ce qui a pour conséquence d’annuler leur avantage compétitif ».

 

Et s’il ne peut naturellement pas commenter d’éventuelles offres d’achat qui lui auraient été faites, le CEO l’assure, il n’est pas prêt à lâcher la barre. C’est que, à l’écouter, celui-ci n’en est qu’au début. Après s’être constitué une solide notoriété en tant que fabriquant, Benoît Deper entend à l’avenir se servir de sa flotte satellitaire comme d’un levier pour exploiter un autre trésor encore sous-exploité par la société : les précieuses données qu’elle collecte.

Jusqu’à présent, nous avons vendu du hardware pour observer la terre. C’est un peu comme si nous exploitions un gisement de roche brute. Nous pouvons aller beaucoup plus loin si nous le raffinons. Et c’est exactement ce que nous entendons faire.

Pour Aerospacelab, le futur se décline désormais en deux temps. D’un côté, la société est impliquée dans un vaste projet de megafactory à Charleroi, sur le site des ACEC, les anciens Ateliers de constructions électriques de Charleroi, avec pour objectif de produire jusqu’à cinq cents satellites par an. Un chantier inédit qui propulsera Aerospacelab au rang de 3e constructeur mondial de satellites, après SpaceX et Amazon. Vertigineux ! Benoît Deper, lui, se montre serein, confiant dans les capacités d’absorption du secteur, dont il connait aussi les limites : « Le marché est en pleine expansion, mais quelle sera sa profondeur ? Nous ne devrions pas rencontrer de difficultés à remplir notre carnet de commandes, mais au-delà de 500 satellites par an, ça ne dépend plus vraiment de nous ».

 

De l’autre côté, la société mène depuis des années un programme R&D de digitalisation en vue de créer un écosystème à même de valoriser les données propriétaires d’Aerospacelab. Actuellement la face cachée de la lune, cet aspect du business model nécessite des investissements massifs que devrait venir soutenir la production hardware, qui s’approche progressivement de la rentabilité. Deux approches complémentaires, au croisement de l’industrie et de la digitalisation, unies par une même vision et amenées à se rencontrer dans un futur proche.

Aerospacelab

Ce sont deux métiers différents, mais qui s’inscrivent dans une même optique d’intégration verticale. En plus de récolter des données propres, nous pouvons offrir de la valeur en proposant des services d’analyse de ces données. Inversement, on ne peut pas fournir des analytics pertinents avec données rares si nous sommes trop éloignés du client final. Nous offrons donc des satellites de qualité, à bon prix, et allons à l’avenir mettre en place des sociétés qui proposeront de faire le traitement final des données ainsi récoltées.

A New Hope

 

Des ambitions stratosphériques qui contrastent avec la modestie du CEO. Quand on évoque avec lui la future usine de Charleroi, sur un site où travaillait son grand-père, il pense d’abord aux responsabilités et aux attentes que ça implique, soucieux avant tout de pouvoir y répondre. Même constat quand on évoque plus largement la région de Charleroi avec celui qui ne joue pas les enfants prodiges de retour au pays. Comme pour le reste avec Benoît Deper, la décision est avant tout un choix rationnel : en Wallonie, la main-d’œuvre et les talents dont a besoin Aerospacelab présentent un rapport coût/bénéfice comparativement inégalé.

À la NASA, quand vous arrivez, vous êtes trié en fonction de votre background. Les ingénieurs belges sont groupés avec les meilleures universités américaines, ce qui n’est pas le cas des hautes écoles françaises.

Un bon point pour la Wallonie et le secteur du spatial qui représente chez nous entre 1.500 et 2.000 emplois directs. Rien que chez Aerospacelab, ils seront bientôt 350 collaborateurs et la société recrute encore activement. Une croissance rapide que l’entreprise brabançonne a dû apprendre à canaliser, au risque de voir sa culture d’entreprise diluée. Comme en 2022, quand plus de 100 personnes ont été engagées. « Chacun vient avec son bagage et son vécu et il a fallu faire un peu de brainwashing pour rappeler ce qui nous tient à cœur », explique Benoît Deper. Un fameux test pour une entreprise qui a pour mots d’ordre la décentralisation, la confiance et l’absence d’intermédiaires. « Chez Aerospacelab, les gens ont une mission et doivent livrer un produit. Il est habituel que des profils juniors gèrent d’énormes projets. On teste. Le middle management ne sert à rien. Il faut donner le volant aux gens qui bossent au niveau tactique. Et si on rencontre des difficultés, on les affronte proactivement. C’est ça qui nous drive. À l’inverse, j’ai horreur des attitudes passives qui se cachent derrière le « on a toujours fait comme ça » … ».

Aerospacelab

Et le CEO de regarder, confiant, le chemin parcouru. « On a connu deux ou trois événements d’extinction qui ont présenté une menace pour notre culture d’entreprise, mais on a survécu. C’est ce qui nous renforce et nous rassure dans notre capacité à assurer notre croissance future ». Dans les prochains mois, la société devrait d’ailleurs annoncer une importante opération d’acquisition qui viendra sensiblement augmenter la taille et la force de frappe de l’équipe.

 

Un mindset volontaire et passionné au cœur des valeurs de l’entreprise que l’on peut résumer par la formule « nerd, mais pas geek ». Pour intégrer l’entreprise, il faut être un passionné. Aimer les défis, s’interroger en continu. Au travail, mais aussi en dehors. « Disons qu’un électricien qui ne pense électricité que durant les heures de bureau n’est probablement pas un électricien passionné. Chez nous, c’est pareil ».

 

Une sensibilité avant tout technique qui n’empêche pas Aerospacelab de cultiver l’esprit ludique si cher aux ingénieurs. Consécration suprême, l’entreprise jouera prochainement un rôle dans un popcorn movie hollywoodien, avec l’apparition d’une constellation de satellites d’Aerospacelab dans le film de science-fiction Helios. With great power comes great responsibility.

 

À propos d’Aerospacelab

 

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