L’appel de la forêt

25 avril 2024

S’inspirer, expirer

Loin de leur Flandre natale, c’est à Malmedy que Stijn Verdonckt et Tine Blondeel ont décidé de poser leurs valises et de reprendre les commandes du studio d’enregistrement La Chapelle pour en faire une success story internationale. Au croisement du studio de classe mondiale et du boutique hotel branché, le Daft attire tout au long de l’année les professionnels du secteur autant que les touristes de passage et les entreprises à la recherche de dépaysement. Le tout dans une atmosphère de festival, si chère aux fans. Une île de verdure au milieu de la forêt, où l’on s’évade volontiers en quête d’inspiration.

Welcome to the Hotel Wallifornia

 

Malmedy. Son carnaval, sa cathédrale et ses forêts de conifères. Avec une population avoisinant les 13.000 habitants pour une superficie totale de 100km2, la commune autrefois réputée pour sa tannerie, sa papeterie et ses jeux d’échecs est aujourd’hui une carte postale de la Wallonie célébrée pour ses environs accueillants et ses nombreux sentiers de randonnée. Une ville à part entière pour ceux qui y vivent et une bourgade champêtre des Cantons de l’Est pour ceux qui la visitent. Porte des Hautes-Fagnes, la commune a la particularité d’être à majorité francophone. Une exception avec Waimes, sa voisine.

Mais ce qui rend aujourd’hui Malmedy remarquable, pour qui sait tendre l’oreille, ce n’est pas tant la langue qu’on y parle – hoewel – que ce qu’on peut y entendre. Reculée, la destination jouit d’une solide réputation chez les randonneurs de tous poils, les amateurs de scènes bucoliques et les musiciens de renommée internationale à la recherche de quiétude pour composer leur prochain tube. Voilà à peu de choses près les ingrédients du succès du studio La Chapelle, qui s’est imposé depuis 1979 comme une destination de référence pour les artistes et les producteurs de par le monde. Les raisons aussi qui ont poussé Stijn, agronome de formation et musicien dans l’âme, à intégrer le précieux studio à la fin de ses études, à Gand.

Entré comme assistant, il se forme au métier d’ingénieur du son sur le tas, avant de rapidement en maitriser les ficelles. De son côté, Tine, restée à Gand où ils se sont rencontrés à l’université, entame sa carrière comme psychologue d’entreprise et RH dans l’économie sociale, avant de déménager à Malmedy, une semaine après leur mariage.

J’ai toujours été un passionné de musique et c’était clair pour moi que c’était dans ce secteur que je voulais travailler, mais comme mes parents souhaitaient d’abord que je fasse de « vraies » études (rires), j’ai fait l’agronomie

Stijn Verdonckt
Studio

Je travaillais la moitié du temps à Courtrai, et la moitié ici, ce qui veut dire que chaque lundi matin, à 5h30, j’étais à la gare de Verviers pour prendre le train. On s’était dit : « on s’installe ici et si ça ne nous plait pas, on rentre à Gand ». On adorait la nature, et les amis qu’on a rencontrés ici nous ont convaincus de rester

Tine Blondeel

Milieu des années 2000, La Chapelle est pourtant en difficulté et doit se mettre en faillite. Pour Stijn, c’est le déclic. En 2008, il rachète seul le fonds commerce : « Je l’ai fait seul, sans associé et sans héritage, ce dont je suis fier en tant que self-made man. Malgré mon jeune âge, j’ai convaincu ma banque de me faire un crédit pour le rachat du fonds de commerce et le matériel ». Désormais, le jeune entrepreneur exploite le studio, dont il dresse méthodiquement le diagnostic. De son côté, Tine prête main forte et partage sa vie entre Malmedy et Courtrai, avant de trouver un emploi dans la région, chez Belvilla, qui met des villas de vacances en location. Une plongée en bonne et due forme dans l’univers du tourisme où, en tant que Contract Manager, elle est chargée de visiter les gîtes, dresser les contrats, prendre des photos et écrire les descriptifs. Des connaissances opérationnelles précieuses qui viennent nourrir la réflexion du couple, pour qui le constat est sans appel : seul, le studio ne suffit pas. Celui-ci doit être complété par une offre hôtelière de qualité susceptible d’en renforcer l’attractivité.

Hotel

Pour Stijn et Tine, il faut aller beaucoup plus loin. En amont et en aval de l’enregistrement per se, il faut offrir un environnement propice aux artistes en vue de les accompagner dans leur parcours créatif. Un cadre stimulant destiné aux musiciens et aux producteurs, mais pensé pour toutes et tous et susceptible d’offrir aussi bien une retraite créative qu’un boutique hotel pour les particuliers où l’on se sent comme chez soi le temps de visiter la région, qui a décidément bien des choses à offrir. Dès 2012, ils s’associent à l’investisseur Jean-Marc Bricteux et ils commencent à prendre des contacts avec des partenaires pour monter le projet, dont Noshaq (alors Meusinvest), qui se montre enthousiaste. En 2015, ils entreprennent alors la construction de ce qui deviendra le Daft Studios et le Daft Hôtel, qui ouvrent leurs portes en 2016.

Des beats et des bûches

 

Huit ans plus tard, nous voilà de retour au Daft, par un mardi pluvieux. Sur place, le parking est plein : l’hôtel est actuellement occupé par une équipe de la VRT, qui réalise une série TV dans les environs. Et comme elle tourne principalement de nuit, les résidents se reposent en journée. À l’hôtel, qui tourne à plein régime, rien d’inhabituel. Avec près de 9.000 guests à l’année en 2023, celui-ci affiche un taux d’occupation de 74% sur 365 jours, tentes de glamping comprises, pour un chiffre d’affaires de 1,7M€. Un montant qui a doublé, voire triplé depuis l’ouverture, tandis que l’équipe, initialement de trois personnes, est à la recherche d’un onzième membre. Mais dans l’immédiat, ce qui semble réjouir Stijn et Tine, c’est l’accueil prochain d’un writer camp d’une vingtaine de producteurs américains de haut vol, mais motus, le couple ne peut à ce stade nous en dire plus…

C’est que, en quelques années, le Daft s’est taillé une solide réputation auprès d’artistes de renom : Lous and the Yakuza, Topic, Aurora ou Mikey Rowe, le producteur d’Oasis, sans oublier PNL, qui a enflammé le studio en rentrant des Ardentes… le lieu transcende les genres et traverse les générations. Une mise au vert qui semble tout spécialement profiter aux artistes de hip-hop, particulièrement assidus. Comme quoi, la street et la forêt peuvent faire bon ménage.

Du hip-hop dans les sapins ? C’est ce que les artistes recherchent à ce moment-là. Nous offrons des installations de très haute qualité certifiées Dolby laboratories Atmos, mais aussi la possibilité de faire un plouf dans la piscine ou un barbecue entre deux sessions. Ce n’est pas parce qu’on a un public urbain qu’il n’aime pas la campagne. Puis il faut dire que l’hôtel offre une ambiance contemporaine. En s’installant ici, on a pris un peu du charme de la ville, qu’on a installé à l’orée de la forêt.

Dans les cartons, l’équipe travaille aussi sur une production avec Tomorrowland. Un succès qui s’explique par son ambiance bon enfant, où tout est mis en place pour se sentir rapidement à sa place. L’objectif ? Arriver et être à l’aise dans la demi-heure. Idem pour les touristes, pour qui le Daft n’est pas tout à fait un hôtel comme un autre. « On veut que les gens se sentent bien. Ce n’est pas rare que les gens se baladent en chaussettes dans le lobby ou s’y endorment au coin du feu. C’est très casual. Même dans la cohabitation entre vacanciers et artistes », explique Stijn. Et celui-ci de se rappeler avec sourire un petit-déjeuner durant lequel les membres du groupe de hardcore The Church of Ra, tatoués de la tête aux pieds, mangeaient et échangeaient avec un couple de pensionnés allemands venus faire du vélo pendant quelques jours.

Un joyeux mélange auquel des marques sont progressivement venues s’ajouter, soucieuses de profiter du cadre verdoyant qu’offre le Daft tout en capitalisant sur la hype qui se dégage des lieux. Comme BMW, qui a récemment privatisé les lieux pendant trois semaines pour faire découvrir trois nouveaux modèles à son personnel. L’occasion de sortir le grand jeu pour une prestation son et lumière unique accompagnée de sessions d’enregistrements.

Hotel

« Nous sommes en mesure d’organiser des séminaires sur mesures, pour des groupes de 6 à 200 personnes en été, en intégrant le glamping. L’occasion de proposer aux entreprises un cadre exceptionnel, mais aussi d’offrir un petit plus qu’on ne retrouve nulle part ailleurs, comme des ateliers musique et la possibilité d’enregistrer sa propre chanson sur place et graver son vinyle avec une pochette personnalisée, voire organiser un concert ou un micro festival ». Une formule business friendly mais branchée, qui attire de plus en plus au-delà des professionnels de la musique et séduit aussi bien des comités de direction plus classiques que les remote-first scale-ups créatives qui veulent, une fois par an, se rassembler avec tous les collègues internationaux : « Des salles de réunions inspirantes, le vaste jardin avec son feu de camp, l’open bar où chacun peut se servir soi-même… le cadre est beaucoup plus décontracté qu’un hôtel classique tout en offrant un service professionnel de haut niveau, et ça plaît ». Et ce n’est pas Noshaq qui va dire le contraire, après deux expériences réflexives plus que réussies au Daft.

 

Star system

 

Boutique hotel, studio d’enregistrement et hotspot pour l’événementiel… autant de services au cœur de l’offre du Daft, qui propose aussi ceux d’agence créative en s’appuyant sur un solide carnet d’adresses. Comme quand l’équipe collabore avec Peugeot pour composer une soundtrack originale, avec O’Tacos, Monster Energy et l’artiste Woodie Smalls pour un writer camp créatif ou encore PepsiCo pour un partenariat avec l’artiste Chibi Ichigo pour le lancement de sa marque Rockstar Energy Drink dans le Benelux : « Nous cherchons le meilleur mariage entre marques et artistes, en mettant en place des idées d’activation, de campagne en ligne, de création de contenu… autour de l’artiste ou autour du son. Notre carnet d’adresses de musiciens est très vaste et nos idées, sans limites ! »

Hotel

Des exemples parmi d’autres qui illustrent toute la richesse d’une offre 4-en-1 qui témoigne du dynamisme de l’équipe, soucieuse de se diversifier afin de tourner en continu. Une stratégie qui doit aussi son succès à certains choix fondamentaux posés en amont, comme celui de ne pas créer un fonds Tax Shelter propre, mais bien de s’adosser à un réseau de partenaires. Une gestion visionnaire pourtant loin d’être de tout repos. En huit ans d’existence, l’adresse a dû aussi pas mal improviser, notamment pour faire face à près de trois années de pandémie et à toutes les règles et mesures qui les ont accompagnées.

« Pour nous, le COVID a été une véritable épreuve. On a fermé quelques mois, mais très peu, sans mettre personne au chômage. On a profité de cette période pour se réorganiser et faire tout ce qu’on n’avait pas eu le temps de mettre en place avant. Dès l’été 2020, on a poussé à fond le volet hôtel. Et comme c’était autorisé, on a même organisé un festival plein air, dans des tentes, avec l’Ancienne Belgique : le Super Sauvage Festival. Une manière pour l’AB de rester en contact avec son public et pour nous de faire vivre l’hôtel en cette période si particulière ».

Désormais plus forts que jamais, Stijn et Tine regardent l’avenir avec confiance, des projets plein les cartons. À commencer par une extension de la capacité résidentielle de l’hôtel. Récemment, le couple a fait l’acquisition de quatre hectares, avec l’ambition d’agrandir un peu, « mais pas trop », assure Tine, qui rappelle la volonté de rester un hôtel à taille humaine. L’occasion aussi d’aménager des espaces insolites, comme des pods immergés en pleine nature, dédiés à des artistes qui souhaitent une déconnexion totale. « On doit connaître les têtes des gens qui viennent ici. C’est dans notre ADN. On ne souhaite surtout pas devenir une structure impersonnelle ».

Studio

Une chaleur humaine qui fait partie intégrante du projet et qui explique l’attachement du couple à sa région d’adoption : « On adore le calme, la nature aux pieds des Fagnes. C’est une des plus belles régions du pays : préservée sans être trop reculée. De plus, la qualité de vie y est très bonne. Ici, les gens se disent encore bonjour et on peut compter sur un solide réseau d’amis toujours prêts à nous donner un coup de main. Ça compense la distance avec nos familles respectives. Beaucoup de jeunes sont d’ailleurs fiers de leur région et décident de rester à Malmedy ».

Une nouvelle génération qui a bien compris la nécessité de préserver une nature qui a tant à leur donner. Des réflexions que partagent Tine et Stijn, qui cherchent à faire bouger les choses à leur échelle, en sensibilisant leur clientèle aux réflexes durables ou en mettant l’accent sur les offres de restauration végétarienne. Dans les prochains mois, l’équipe aimerait aussi avoir ses propres cochons, pour valoriser les restes alimentaires.

Hotel

« On réfléchit à la durabilité de notre approche, mais aussi à l’avenir de nos enfants. À la campagne, on vit différemment. On est moins exposés aux impératifs de la société de consommation. On emprunte ce que l’on peut, et on achète uniquement ce dont on a besoin, c’est un mode de vie à part ». Un rapport à la nature qui n’empêche pas Stijn et Tine de prendre, quand la ville leur manque, un shot d’urbanité à l’occasion d’un citytrip. Là où les citadins fuient la ville pour une pause bien méritée, eux la retrouvent.

 

À propos du Daft Music Studios

 

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