Louvain-la-Neuve par un lundi matin ensoleillé. Boulevards périphériques, grosses cylindrées et terrains de hockey tranchent avec les paysages bucoliques brabançons, témoins d’une campagne qui ne sait plus vraiment sur quel pied danser, entre tracteurs d’un côté et start-up de l’autre. En marge de la vie universitaire, des amphithéâtres et des guindailles, la cité nouvelle a depuis longtemps essaimé, et donne aujourd’hui à voir un écosystème tech expansif aux airs de Silicon Valley.
Sur le boulevard Baudouin 1er, à mi-chemin entre le Cercle du Lac et le Skate Park, c’est dans le parc scientifique que nous retrouvons Geoffroy Gosset, qui a établi ses bureaux dans la toute nouvelle ING, un bâtiment flambant neuf de 10.000m2, ouvert sur un vaste patio intérieur aux airs d’aéroport international. Sofas design, coffee corner et badges de sécurité, le lieu incarne un certain Zeitgeist : celui d’un espace basse énergie, baigné de lumière naturelle, avec récupération des eaux de pluie et panneaux photovoltaïques. Un lieu imaginé avant la pandémie et qui s’est depuis tourné vers des entreprises tierces pour occuper des espaces excédentaires laissés vacants par la généralisation du télétravail. Une aubaine pour e-peas, qui y occupe aujourd’hui un vaste plateau, et un soulagement pour Geoffroy, dont la société compte presque autant de déménagements que de bougies. Une rencontre d’autant plus fortuite qu’elle incarne à merveille le projet de ce dernier, à savoir récupérer et optimiser l’énergie ambiante pour alimenter des dispositifs en (quasi) autonomie. Il n’y a pas de hasard, juste des rendez-vous.
E-pe-peas, hourrah !
Si vous avez déjà eu en main une calculette solaire, sans doute que le principe d’un device autonome ne vous est pas inconnu. Une solution aussi efficace que… diurne, qui perd toute sa pertinence au cœur de la nuit. Imaginez maintenant que cette même calculette soit équipée d’une batterie de stockage et d’un dispositif qui la relie à la source, à savoir le petit panneau photovoltaïque qui équipe votre machine à calculer. Vous voilà désormais équipé d’une calculatrice qui fonctionne aussi bien de jour, que de nuit. Voilà aussi, en synthèse, l’idée qui se cache derrière e-peas, qui prend évidemment tout son sens dans des dispositifs plus complexes. Explications.
Ingénieur industriel diplômé de l’ECAM, Geoffroy Gosset a poursuivi son cursus avec des études en Polytech à l’UCL, avant de prolonger sur une thèse en électronique. Un parcours académique brillant dont le jeune homme retire entre autres la conviction qu’il y a décidément trop de savoir-faire non valorisé dans les cartons des labos et l’ambition d’apporter sa contribution à la valorisation des connaissances. Après l’obtention de son doctorat, il décroche une bourse spin-off de 2+1+1 ans pour étudier les besoins du marché et développer un premier produit, suivie d’un financement pre-seed du fonds The Faktory pour finaliser le développement du premier produit et en lancer la commercialisation : e-peas est né. Sa raison d’être ? Développer et commercialiser des puces électroniques de gestion d’alimentation dont la fonction est d’extraire l’énergie captée par un récupérateur d’énergie ambiante, tout en s’adaptant aux caractéristiques de ce récupérateur en vue de charger une batterie. Et en s’assurant au passage une extraction énergétique maximale, avec la plus grande efficacité et en protégeant la batterie.
Qu’ils soient photovoltaïques, thermiques, alimentés par des vibrations ou des ondes radiofréquences, les récupérateurs offrent une quantité d’énergie qui varie en fonction de l’environnement. Il faut s’adapter en temps réel pour en extraire le maximum de puissance. C’est ce que fait la puce développée par e-peas, tout protégeant la batterie de surcharges ou de courants trop élevés par exemple .
Geoffroy Gosset, CEO de e-peas
Chérie, j’ai rétréci les piles
Parmi les applications de la société néo-louvaniste, celle-ci peut s’appuyer sur certains blockbusters, comme une télécommande solaire pour Samsung et, bientôt, un clavier sans fil pour un géant de l’informatique dont on doit encore taire le nom. Des dispositifs qui parlent au grand public, même si, en réalité, les applications sont presque infinies.
« Si l’on prend un périphérique d’ordinateur comme un clavier ou une souris, et qu’on part du principe qu’on travaille dans un environnement éclairé, même artificiellement, on sait qu’on va bénéficier d’une source de lumière minimum d’au moins 500 lux, ce qui est assez pour faire fonctionner le dispositif, qui est au final peu utilisé. En moyenne, un clavier ne fonctionne qu’une demi-heure par jour, même si c’est étalé en plein de petites interventions ».
Télécommandes, montres solaire, étiquettes de prix digitales à destination du retail, mais aussi tags de tracking de bétail, de conteneurs ou thermostats… La puce d’e-peas s’intègre dans tout dispositif fonctionnant sur pile, d’où le qualificatif de « pile du futur », même si, à proprement parler, Geoffroy et son équipe n’en fabriquent pas. Pour e-peas, tout l’exercice consiste en revanche à comprendre le cas d’usage de ses clients et ses saisonnalités de manière à fournir un équipement optimal en fonction du récupérateur et de l’élément de stockage. D’où un dialogue constant avec une galaxie de partenaires : les clients bien entendu, mais aussi les fabricants de batteries et de récupérateurs d’énergie. En fonction des besoins énergétiques et des sources possibles, une solution est alors trouvée. Et si, dans certains cas, cela implique nécessairement de recharger le dispositif à partir d’une source directe, le résultat est toujours d’augmenter la durée de vie des batteries.
Si on est sur un dispositif qui fonctionne avec des piles que l’on change peu, par exemple tous les six mois ou une fois par an, voire tous les cinq ans, c’est qu’il a une faible consommation et, dans ce cas, on peut chercher à compenser avec l’énergie ambiante. Si c’est un smartphone en revanche, c’est impossible, car les besoins sont beaucoup trop grands.
Un gain en temps et en énergie, mais aussi une bénédiction pour l’environnement, qui gagne définitivement à se passer de piles à usage unique et dont l’empreinte écologique est considérable. Et même si ces dernières servent à alimenter des dispositifs qui consomment peu, on le sait, les petits ruisseaux font les grandes rivières… « On a un réel impact, ce n’est pas du greenwashing. Si on part du principe que la commande d’un téléviseur contient deux piles, et que la durée de vie moyenne de ce dernier est de 7 ans, ça fait 14 piles. Si on peut limiter ça par le nombre de télévisions qui existent, ça commence à compter… »
Made in Wallonia
Forte de quarante employés, la société e-peas s’est aujourd’hui forgée une solide réputation comme leader sur son marché, international par essence. Depuis Ottignies, elle conçoit des puces qui sont ensuite produites par TSMC à Taïwan, un acteur incontournable dans la chaîne de valeurs avec lequel e-peas négocie conjointement avec l’Imec, en attendant d’atteindre une masse critique suffisante pour dialoguer seul. Une fois conçues, les puces sont envoyées de par le monde pour équiper des appareils électroniques divers et variés. Parfois même dans des objets aussi insolites qu’insoupçonnés, comme la version solaire de l’iconique montre Tank de Cartier, qu’il ne faut désormais plus jamais recharger. Le luxe a l’état pur. Qui sait, sans le savoir, vous avez peut-être déjà un peu d’e-peas chez vous…
Et la société entend bien poursuivre sur sa lancée. Après avoir récemment bouclé une levée de fonds de près de 18 millions d’euros et fait entrer aux côtés des actionnaires historiques deux nouveaux privés – Otium Capital et Noma Invest – et l’EIC, l’European Innovation Council, la société a désormais les coudées franches pour avancer dans sa stratégie de commercialisation et de développement. Confiant, Geoffroy parle d’une opportunité de 400 à 500 millions d’euros sur les quatre à cinq années à venir : « Depuis le COVID, nous connaissons une accélération qui fait suite à une prise de conscience environnementale chez les GAFA, qui se traduit par une volonté opérationnelle de réduire leur empreinte carbone », se réjouit le CEO, qui n’est pas peu fier du parcours accompli. « Bien sûr, nous avons des concurrents, mais aucun qui offre un tel niveau de performances tout en restant compétitif sur les prix. Si nous sommes aujourd’hui leader, c’est parce que nous ne nous éparpillons pas et restons concentrés sur notre cœur de métier, ce qui permet aussi une customer intimacy inégalée, à la base de notre succès aujourd’hui ». Un succès qui s’explique aussi par la flexibilité de la solution d’e-peas, qui s’intègre dans des dispositifs existants sans les modifier et sans changer le comportement des utilisateurs, mais en offrant un gain substantiel d’autonomie.
Une offre robuste que la société néo-louvaniste devrait à l’avenir étoffer avec la mise sur le marché de deux nouvelles gammes de produits en 2024 et en 2025 : un premier micro-contrôleur à très basse consommation et un capteur d’images « avec la plus basse consommation d’énergie au monde dans sa catégorie ». De quoi compléter et renforcer l’offre globale d’e-peas. « Notre puce permet à un dispositif de se recharger de manière autonome, mais pour que la balance soit positive, il faut néanmoins que la consommation énergétique initiale soit la plus faible possible. La réduire au maximum, c’est l’autre pan de notre mission. Notre objectif à terme, c’est de devenir un one stop shop de solutions à haut rendement et à faible consommation ». De quoi par exemple s’imposer dans les secteurs de la sécurité et de la maintenance. Et Geoffroy d’en profiter au passage pour tendre la main au reste de l’écosystème wallon : « nous avons déjà eu plusieurs discussions avec I-Care, qui n’ont pas encore abouti, mais ça arrivera ».
Reste au CEO et à son équipe à continuer leur mission d’éducation permanente, les vieilles habitudes étant peut-être le principal obstacle auquel la société est aujourd’hui confrontée : « sur chaque segment de marché, il y a un travail d’éducation à faire. Il faut toujours un premier client qui y croit pour que les autres prennent conscience de la pertinence d’une innovation. Dans certains secteurs, on a toujours fait avec de la pile, et on ne voit pas pourquoi on ferait autrement ». Heureusement, pour les convaincre, Geoffroy est chargé à bloc.
À propos d’e-peas
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