Si vous n’aviez pas (encore) entendu parler d’Arnaud Allaer ou de LaCAR, c’est normal. Arnaud ne recherche pas la lumière des projecteurs, et surtout, il n’en a pas besoin, nous confie-t-il en début d’entretien, quand on l’interroge sur les raisons de sa quasi-absence dans les médias. « L’essentiel de notre chiffre d’affaires se fait à l’étranger, le recrutement « via via » et notre actionnariat est à 60% familial, donc on a peu de comptes à rendre. Et puis, pour être tout à fait honnête, je n’aime pas du tout ça », s’amuse celui dont on a même du mal à trouver une photo en ligne.
Beau joueur, il a non seulement accepté de nous rencontrer, mais aussi de se plier à l’exercice du photo shoot.
De la suite dans les idées
Diplôme d’ingénieur commercial de l’ULiège (HEC) en poche, Arnaud n’a qu’une idée à la sortie des études : lancer sa propre affaire. Entreprendre, démarcher et développer un projet, voilà ce qui l’attire. Quant au secteur, il souhaite avant tout se tourner vers un secteur à impact, pour faire une différence dans la vie des gens.
Fils d’un entrepreneur actif dans les biotech (Didier Allaer, fondateur de la société Diagenode, NDLR), Arnaud se dit alors que tant qu’à commencer quelque part, autant débuter par-là. Il décide d’aller à la rencontre de professeurs à l’Université, histoire de voir s’ils n’ont pas quelques idées à concrétiser qui traineraient dans leurs cartons, pour ensuite faire son marché. « On va voir un prof, on discute cinq minutes et on se rend compte que c’est une véritable mine d’or, il a toujours bien deux-trois projets dans son tiroir ».
C’est d’une de ces discussions que lui vient l’idée de voir si les kits d’analyse qui ne nécessitent pas d’extraction d’ADN pour plantes et animaux que fabrique une société japonaise dont il a entendu parler via son père pourraient être adaptés au diagnostic génétique des maladies chez l’homme. Il en parle avec une éminence du CHU de Liège spécialisée dans ce domaine et celui-ci accroche très rapidement. Non seulement, il pense que c’est possible, mais il se montre intéressé de monter à bord. Arnaud tient son idée, mais aussi son premier investisseur. Dans la foulée, il se lance dans l’aventure et, avec un capital initial de 50.000€, se plonge dans le grand bain.
Sur papier, le plan est simple : les Japonais fabriquent les kits, les validations cliniques se font en collaboration avec le CHU de Liège et Arnaud se concentre sur le démarchage commercial. En pratique pourtant, rien ne fonctionne comme prévu.
Plutôt que d’en rester là, Arnaud Allaer décide de reprendre les choses en main. Il obtient un subside auprès de la Région wallonne et lève un peu de fonds auprès de Noshaq, pour développer un petit laboratoire. LaCAR développe alors deux premiers produits, des kits facteurs II et V qui fonctionnent très bien, et l’approche sans étape d’extraction ADN adoptée par la société a tout pour plaire aux laboratoires de génétique fonctionnelle que cible le CEO : comme il ne faut pas extraire d’ADN, le prélèvement d’une simple goutte de sang que l’on dilue suffit, ce qui représente un vrai gain de temps et de ressources. Mais deux produits, ce n’est pas assez pour convaincre. Pour s’imposer, il faut étendre la gamme des tests commercialisés. Progressivement, LaCAR décide donc d’étoffer son portefeuille de solutions. Des développements largement autofinancés et complétés avec le soutien de Noshaq.
Contrairement à la pharma où l’on doit lever des moyens colossaux pour financer de longues recherches aux résultats incertains, on développe et on vend des produits pour un marché qui existe déjà. Tout l’enjeu, c’est d’atteindre une taille critique suffisante pour s’imposer.
Arnaud Allaer, CEO et fondateur de LaCAR
A star is born
En 2019, après deux années de développement, les choses s’accélèrent. Arnaud cible alors de petits marchés qu’il pense à fort potentiel, comme la thérapies pharmacogénétique et LaCAR commence à se faire une place. En substance, son avantage concurrentiel ne tient pas tant dans une innovation disruptive que dans le fait de proposer une version améliorée de quelque chose qui existe déjà. Une stratégie pragmatique qui convainc progressivement les laboratoires. LaCAR connait alors une croissance annuelle de 30 à 40% qu’elle ne quittera plus, et passe dans l’intervalle de cinq à 25 employés.
Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, en 2022, LaCAR a la possibilité de reprendre la société liégeoise ZenTech, spécialisée dans le dépistage des nouveau-nés. « Un marché de niche de l’ordre d’un milliard à l’échelle mondiale, mais à fort potentiel de croissance. Tendanciellement, on fait moins d’enfants, mais on teste toujours plus de pathologies avant la naissance ». Un positionnement qui correspond à la stratégie d’Arnaud, qui décide donc de réaliser l’opération. LaCAR double de taille et ajoute à son arsenal un nouveau domaine d’expertise. Mais le défi est de taille. Il faut deux bonnes années pour redresser les comptes de la société, en difficulté, et transposer ses solutions, surtout calibrées pour l’Asie et l’Amérique latine, au marché européen.
Tout ou presque est désormais en place pour que la société liégeoise devienne une entreprise de référence en pharmacogénétique et titille le numéro 1, Revvity, sur le marché du newborn screening. Mais pour cela, les Liégeois doivent encore se faire une place sur marché américain, incontournable, où LaCAR n’est pas encore implantée.
En tant que société de diagnostic génétique, notre but est de faire en sorte que les patients aient le meilleur traitement au meilleur moment, tout en intégrant le fait que chaque personne est différente
Début 2025, c’est chose faite. LaCAR acquiert le département newborn screening de l’américain Baebies qui travaille sur le dépistage d’une maladies encore non couvertes par les technologies de la société liégeoise. Un coup double qui permet à celle-ci d’étoffer son portefeuille de technologies et de s’implanter confortablement sur le marché américain. Désormais, la société compte 80 personnes, pour un chiffre d’affaires qui atteindra les 12M€ en 2025, répartis entre diagnostic chez l’adulte (40%) et dépistage chez les nouveaux-nés (60%).
Cette décennie de croissance à deux chiffres, Arnaud entend bien la pérenniser. Ayant atteint la taille critique qu’il visait au départ, la prochaine étape, pour le CEO, consiste à harmoniser les technologies de LaCAR, de ZenTech et de Baebies pour pouvoir fournir l’ensemble de ses solutions sur tous les marchés où ils sont présents.
Just DIY
À l’écouter parler, c’est comme si le parcours du jeune homme n’avait été qu’un long fleuve tranquille. Autofinancement, croissance, internationalisation, acquisitions… le parcours d’Arnaud est quasiment un sans-faute, même si celui-ci rappelle qu’il n’en a pas toujours été ainsi.
Il n’empêche, quand il regarde en arrière, Arnaud se dit chanceux, le regard tourné vers ses équipes : « On a la chance d’avoir beaucoup de super personnes. Ce qui fait qu’on réussit, c’est avant tout parce qu’on peut compter sur une équipe de gens extraordinaires ». Une « team de choc » qui s’est constituée d’elle-même, ou presque. « Jusqu’à présent, le recrutement s’est fait de bouche à oreille. La plupart des gens viennent de la région où de nombreuses personnes sont formées aux métiers des sciences de la vie ». Des talents locaux, disponibles et parfois même insoupçonnés, reconnait le CEO, impressionné par la qualité des profils recrutés : « En réalité, beaucoup de gens sont prêts à retrousser leurs manches et à envoyer une fusée sur la lune. C’est une des raisons de notre succès. On ne se dit pas d’emblée que c’est impossible, souvent, on le fait. Tout simplement ».
Des ambitions nourries au quotidien par un management horizontal, « c’est très flat, tout le monde donne son avis et les collaborateurs ont un impact direct sur la vie de l’entreprise. La personne qui débute chez LaCAR commence d’emblée avec la confiance de l’équipe. Ici, pas de pointeuse ou d’horaire fixe : on aide chacun à trouver sa place ».
Une relation de confiance donnant donnant, qui suscite chez chacun une envie de se dépasser, ce dont se félicite Arnaud. « J’ai fondé LaCAR à la sortie de l’école. Je n’ai jamais travaillé ailleurs, ce qui impose une certaine humilité. Je ne pars pas du principe que je sais ce qu’il faut faire. J’écoute les gens et ce qu’ils ont à me dire ». Un style empathique qui séduit de nombreux collaborateurs, et de nombreuses collaboratrices, qui représentent plus de 70% du personnel. Un hasard pour Arnaud, qui va tout simplement chercher les talents là où ils se trouvent.
Conscient d’avoir grandi dans un environnement familial favorable et soutenant, Arnaud sait combien il est important de savoir s’entourer, même si ça ne suffit pas pour réussir. Pour lui, la clé du succès, c’est avant tout oser prendre des risques. Un état d’esprit qui ne convient pas à tout le monde : « Il y a toujours une bonne raison de ne pas se lancer. Le premier pas, c’est le plus décisif. Et quand on décide d’y aller, il faut y aller à fond, mais il faut aussi être conscient de ce que ça implique et accepter d’avancer à découvert ».
D’où l’importance pour lui d’une structure comme Noshaq, avec qui la relation est excellente : « Beaucoup de gens se projettent dès le départ dans un schéma de croissance qui repose sur des levées de fonds successives, et perdent progressivement le contrôle sur leur propre entreprise. Avec LaCAR, dont on conserve aujourd’hui 60% du capital, on a tout construit euro par euro, brique après brique. Il y a plein de start-ups comme nous, financées localement par des familles ou des entrepreneurs qui se mettent à risque. Sans Noshaq, nous aurions probablement été mangés tout cru ». Une vérité que nous n’allons pas démentir.
À propos de LaCAR MDx
Site web