Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous. Le jour de notre rencontre avec Gaëtane Leroy et son époux, Philippe Douin, est aussi le premier jour de mise en service du tram de Liège. Sous un ciel radieux, on entend sa sonnette caractéristique. La ville est enfin apaisée et tout semble possible.
C’est d’ailleurs tout sourire que le duo nous reçoit, à peine rentré de lune de miel dans les Seychelles. Un voyage qu’ils s’étaient promis il y a de ça près de vingt ans. C’est que l’un comme l’autre sont des bourreaux de travail et ont souvent donné la priorité à leurs projets professionnels. Jour et nuit, Gaëtane veille sur son cocon depuis maintenant plus de dix ans et arrive aujourd’hui dans la dernière phase de travaux pharaoniques qui révéleront bientôt un futur nouveau joyau de la Principauté, tandis que Philippe, CEO de la société Delta Thermic spécialisée dans les systèmes de chauffage central, ventilation et air conditionné (HVAC), joue volontiers les CFO faisant fonction. Un duo à la vie comme à la ville qui croit fermement dans Liège et dans son potentiel et qui n’a pas hésité à mettre dans l’aventure le capital familial : « Tout est passé dans le projet, qui est notre bébé. On ne compte pas pour ses enfants » s’amuse le couple.
Autant dire que pour l’un comme pour l’autre, les ambitions n’ont d’égale que leurs attentes vis-à-vis de la ville.
En Neuvice
À New York, la vie tend à s’organiser autour de blocs d’immeubles qui ont chacun leur propre identité, de sorte qu’il suffit parfois de traverser une des célèbres avenues de Big Apple pour changer de monde. À Liège, il en va de même avec les rues. À la gourmande rue des Guillemins, certains préféreront les pétillantes vitrines commerçantes de la rue du Pot d’Or tandis que d’autres succomberont à l’indépendance et au caractère bien trempé de la rue Pierreuse, elle-même à quelques enjambées de la bouillonnante rue Souverain-Pont. Des artères chères au cœur des Liégeois et qui sont autant de repères parmi lesquels la rue Neuvice occupe une place de choix.
À quelques pas de la Violette, celle-ci relie le Perron côté Place du Marché aux quais, où se tient le marché dominical de la Batte. Un positionnement d’autant plus stratégique que la venelle est entièrement piétonne. Deux atouts de choix qui ne l’ont pas empêchée de tomber en déshérence au tournant du millénaire avant de connaitre un retour en grâce dans les années 2010, porté par les commerçants de la rue, bien décidés à en redorer le blason.
Parmi les fers de lance de ce qui est aujourd’hui une des ruelles les plus branchées de la Cité, l’Hôtel Neuvice, même si ce n’était pas le plan initial se remémore Gaëtane Leroy, qui cherchait à l’époque quelque chose de plus modeste pour y aménager une chambre d’hôtes. « J’ai commencé à visiter des bâtiments dans la rue avec le projet de faire un petit gîte urbain. L’occasion de valoriser mon bagage en histoire de l’art dans la rénovation, mais aussi dans l’animation du lieu, en proposant des visites guidées du cœur historique, ce qui n’existait pas à l’époque ».
Nous sommes tombés sous le charme de ce bâtiment qui pouvait accueillir une dizaine de chambres, ce qui changeait beaucoup de choses, car on basculait sur un petit hôtel, avec l’opportunité de subsides et de visibilité, mais aussi des contraintes en termes de personnel
Gaëtane Leroy, Propriétaire et gérante de l’Hôtel Neuvice
Pour le couple, tout va alors très vite. Pressé par l’échéance symbolique du départ du Tour de France à Liège en 2012, celui-ci met les bouchées doubles et boucle le projet en à peine six mois de rénovations et trois de parachèvement. Un tour de force. Pour ses premiers clients, l’hôtel pourra compter sur une équipe complète de la RTBF, désespérée de trouver un hébergement à Liège pour couvrir le départ de la Grande Boucle. Liège compte désormais un nouvel hôtel.
Hôtel de charme
Loin du tohu-bohu de la ville, le lobby feutré où nous interrogeons le couple Leroy-Douin ouvre sur une splendide cour intérieure en pierre de style mosan. Une atmosphère zen qui mêle habilement l’ancien et le nouveau, une constante qui fait le charme des lieux et qui témoigne de l’attention constante de Gaëtane à préserver le patrimoine. « Avant, le bâtiment où nous nous trouvons regroupait huit logements, dont un ancien commerce transformé en studio ».
Des espaces aveugles comme on en retrouve encore beaucoup à Liège et qui peuvent cacher de véritables trésors… « Nous avons décloisonné tout cela et mené des recherches qui nous ont appris qu’il s’agissait au XVIIIe siècle d’une imprimerie faite de trois bâtiments occupée par le libraire-imprimeur Bassompiere et sa famille ». Et Philippe Douin d’insister sur l’importance de l’affect dans un tel projet : « C’est une affaire de cœur. On gère d’abord l’hôtel comme on aime qu’il soit, avant de réfléchir à l’aspect financier des choses, même si on garde bien entendu un œil sur la rentabilité ».
Une passion commune à l’origine du succès de l’Hôtel Neuvice. Sans bagage en gestion, Gaëtane Leroy se lance corps et âme dans l’aventure et apprend sur le tas, tandis qu’elle s’implique à revitaliser la rue aux côtés des commerces et des artisans qui y ont établi boutique, unis par leur amour de la ville. « Ça a fonctionné assez rapidement. Je pense que c’est parce que nous sommes passionnés. C’est la même chose avec le personnel de l’hôtel. Nous travaillons avec des gens qui aiment la ville, et n’avons d’ailleurs pas de problèmes à recruter. Ça se sent directement dans l’accueil ».
Des éléments qui expliquent que douze ans plus tard et près de 50.000 petits-déjeuners servis, l’hôtel affiche une note moyenne supérieure à 9 sur Booking.com « Pendant longtemps, nous avons eu une note de 9,3, mais celle-ci a baissé à 9,1 dernièrement, ce qui reste la meilleure note sur Booking à Liège (« Fabuleux », NDLR.) » , observe Philipe Douin, qui en impute la responsabilité aux chantiers à répétition que la ville a connus. C’est que les dernières années n’ont pas été tendres pour l’hôtel, explique Gaëtane : « Le COVID fut une expérience terrible, à laquelle se sont ajoutés les chantiers du tram. Nous avons probablement été la rue la plus impactée, avec des travaux qui limitaient l’accès de chaque côté, ce qui a provoqué une baisse assez radicale sur le chiffre d’affaires ».
Pas du genre à se laisser abattre, le couple a décidé de prendre son mal en patience. Mieux encore, se lancer dans d’impressionnants travaux d’extension, preuve de leur confiance dans le potentiel de développement de la ville. « Liège, on y croit, explique Philippe. On croit dans son développement. À l’inverse, on est aussi exigeants et on en attend beaucoup ».
Liège 2.0
Plutôt que de se plaindre du marasme, Gaëtane Leroy et Philippe Douin ont décidé de voir les choses en grand. Patiemment, ils ont racheté des bâtiments de la rue laissés à l’abandon, à commencer par les espaces en vis-à-vis de l’hôtel. Autant de pièces d’un puzzle qu’ils sont aujourd’hui occupés à assembler avec l’objectif de passer de 12 à 40 chambres de standing, dont six appartements studio, mais aussi un centre wellness, une piscine intérieure, un bar à vin, un espace brasserie et des salles de réunion, tandis que l’hôtel actuel est destiné à devenir une annexe qui peut entièrement être privatisée. Eux parlent d’extension, on pourrait parler de réinvention.
Un projet ambitieux essentiellement financé sur fonds propres et complété avec l’aide des banques et de Noshaq, tandis que l’hôtel a aussi laissé la porte ouverte aux investisseurs particuliers dans le cadre d’une campagne de crowdfunding accompagnée de nombreux avantages exclusifs. « L’idée est de conserver l’expérience émotionnelle telle qu’on la retrouve à l’hôtel actuellement, avec son esprit de sérénité, mais d’y ajouter des espaces fonctionnels qui vont assoir son positionnement tout en renforçant l’attractivité auprès d’une clientèle business », explique Gaëtane.
En construisant une dynamique ouverte sur la ville, en faisant entrer celle-ci dans l’hôtel, on souhaite devenir une destination en soi. Un lieu où l’on séjourne pour visiter la ville, mais pas que. Ça doit aussi être un espace d’exception où l’on vient se ressourcer le temps d’un moment privilégié, par exemple pour célébrer une grande occasion
Gaëtane Leroy
Presque un nouvel hôtel donc, qui vient compléter une offre qui s’est déjà sensiblement renforcée au cours des dernières années. Pas de quoi inquiéter le couple, qui ne craint pas la concurrence. « À chaque fois qu’on développe un projet immobilier, on y met un hôtel. Je me demande parfois comment on les remplit ensuite, mais en ce qui concerne l’Hôtel Neuvice, je ne suis pas inquiet, confie Philippe Douin. À Liège, nous sommes déjà dans la fourchette haute, et avec l’extension, on va connaitre une montée en gamme substantielle. Notre force, c’est notre positionnement ».
Pour Gaëtane comme pour Philippe, tout est en place pour redémarrer de plus belle, mais il faut que les choses suivent. L’enjeu pour l’avenir, c’est la ville : « Liège doit être consciente de sa capacité à être une vraie métropole, ce qui implique aussi de regarder ailleurs ce que les autres font de bien et s’en inspirer. Liège a tout ce qu’il faut pour plaire. Maintenant, il faut aller de l’avant pour transformer la vision que l’on a du centre-ville. Augmenter la gentrification pour ramener la classe moyenne en ville et créer un effet boule de neige pour que ça devienne un succès extraordinaire ».
Sur des rails
Pour le couple Leroy-Douin, il ne fait aucun doute que le tram est une avancée majeure. « Aujourd’hui, ce n’est plus la même ville. Sur le tracé du tram, les gens se réapproprient l’espace public. Quand on voit des joggeurs par beau temps, on se croirait presque à la mer. C’est superbe. Les bases sont là. Il faut maintenant convaincre que Liège, toute conviviale qu’elle soit, n’est pas qu’une destination à la bonne franquette ». L’objectif ? Devenir une véritable destination de citytrip comme Anvers a réussi à la faire. « C’est une ville multiple et dynamique qui bien qu’avec ses propres défis et ses excentricités offre un cadre apaisé où on se senti bien ».
Une des nombreuses destinations qui inspirent Gaëtane et Philippe, qui conservent également un attachement tout particulier au quartier du Marais à Paris, finalement tout proche. De porte à porte, il faut à peine plus de trois heures en transports en commun pour rejoindre le bouillonnant quartier parisien. Alors, bientôt un coin de « Marais » en Cité Ardente ?
À propos de l’hôtel Neuvice
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Images : (c) Noshaq (portraits), (c) Adrien Closter (hôtel), (c) Myisis (3D)