Paris par un froid matin de février. Au cœur du quartier Malakoff, c’est dans une adresse confidentielle de la rue Vincent Moris que nous retrouvons Ludovic et son équipe. Tout sourire, celle-ci est en effervescence : c’est aujourd’hui que la start-up française inaugure officiellement son nouveau pilote de production, tandis qu’est attendue la Vice-présidente de la Région Île-de-France, qui a cofinancé l’installation. Entre deux préparatifs, on en profite pour pousser les portes en avant-première. Suivez le guide.
High Pro-tential
C’est peu de le dire, le secteur agroalimentaire fait face à des défis colossaux. Pris en tenaille entre les besoins de nourrir une population mondiale en forte croissance – près de 10 milliards d’êtres humains attendus en 2050 – et la nécessité de composer avec les ressources limitées qu’offre une planète à bout de souffle, le secteur cherche aujourd’hui de nouveaux équilibres. Responsable d’un tiers des émissions des gaz à effet de serre dans le monde et exploitant plus du double de ce que la Terre peut durablement offrir, il est pourtant loin du compte. Ajoutez à cela les questions d’équité et de souveraineté, et vous obtenez une équation aux airs de quadrature du cercle qui a depuis toujours alimenté les théories malthusiennes diverses et variées.
Un tableau géopolitique aussi sombre que complexe dans lequel n’hésite pas à se positionner la start-up française et ses vingt-cinq employés, convaincue de détenir une des clés de la solution : les algues, à savoir des micro-organismes uni- ou pluricellulaires tels que la spiruline ou la chlorelle, consommées depuis des milliers d’années dans le monde. Parfois qualifiées de « Superfood » elles ont récemment fait leur apparition dans nos assiettes, principalement sous la forme de compléments en raison de leurs nombreuses vertus pour la santé. Végétales, riches en protéines et en Omega 3, elles ont tout pour plaire, si ce n’est un goût iodé et une couleur sombre prononcés qui ont jusqu’à présent rebuté les poids lourds de l’industrie à s’y mouiller, qui n’y voient qu’un produit de niche exotique. Une erreur qu’Algama entend bien rectifier.
Les solutions traditionnelles ne sont plus suffisantes pour répondre aux besoins actuels de l'industrie. Il est essentiel de trouver des alternatives durables, à la fois performantes et économiquement viables qui s’intègrent dans la chaîne de valeur en tant que substituts crédibles, tout en répondant aux attentes des consommateurs qui privilégient des produits naturels et responsables sans être disposé pour autant à bouleverser leurs habitudes alimentaires.
Ludovic d’Otreppe, CEO d’Algama.
Un besoin clairement identifié, mais complexe, dont l’équipe est convaincue que les algues sont la réponse, mais pas dans leur forme actuelle. « Là où Algama a été plus loin, c’est que nous avons mené plus de dix années de recherches en vue de briser les cellules des microalgues pour en extraire les composantes fonctionnelles et s’en servir comme un substitut à d’autres ingrédients alimentaires. Un travail acharné qui porte aujourd’hui ses fruits ».
Plutôt que d’éduquer les consommateurs à de nouveaux modes alimentaires alternatifs responsables, Algama a fait le pari d’adapter ses ingrédients alternatifs aux habitudes de consommation, avec en première ligne le remplacement des œufs, pour lesquels la société obtient des résultats impressionnants. À partir d’algues de culture en provenance de France et du Portugal, et avec l’aide d’autres ingrédients végétaux, Algama travaille à l’obtention d’une poudre naturelle et végétale en tout point similaire à l’œuf en poudre tel qu’on l’utilise dans l’industrie alimentaire dans la préparation de brioches, de gaufres ou encore de gâteaux. « Même si les consommateurs s’accordent sur la nécessité d’aller vers plus de durabilité, ils ne sont pas prêts à faire des compromis sur le goût. Il faut donc répéter les performances de l’œuf de manière parfaite, soit une substitution naturelle et gustativement neutre qui mimique les superpouvoirs fonctionnels de l’œuf tout en offrant une alternative végétale et économe, puisque jusqu’à deux fois moins chère », se réjouit Ludovic, qui poursuit désormais sa présentation rejoint par son équipe dirigeante : Clémence Lanfry, en charge des opérations commerciales après une solide expérience entrepreneuriale dans l’agroalimentaire, et Jean-Paul Cadoret, Chief Scientific Officer, expert en biologies marine, cellulaire et moléculaire, docteur en Océanographie et vice-président de l’EABA, l’European Algae Biomass Association.
Business Plant
Un procédé scientifique de craquage des algues propre à l’équipe qui lui vaut le surnom de « meunier des algues » et qui a retenu l’attention de quelques poids lourds de l’alimentaire, dont Louis Dreyfus Company, référence mondiale dans le commerce et la transformation des matières premières, Grupo Bimbo, une des plus grandes entreprises de boulangerie au monde, et Thai Union Group, leader mondial des produits de la mer. Des références auxquelles se sont ajoutés les belges New Tree Impact et Noshaq. Une reconnaissance sectorielle qui en dit long sur le potentiel des recherches menées par Algama, dont l’activité, bien qu’encore modeste avec une chiffre d’affaires inférieur au million d’euros, devrait prochainement décoller avec la phase d’industrialisation. Un parcours qui témoigne aussi de la courbe d’apprentissage de la start-up.
Fondée par Alvyn Severien, Gaëtan Gohin et Mathieu Gonçalves Alves, la société Algama visait à l’origine le développement de produits plant based issus des algues et distribués directement vers les consommateurs en B2C via des filières revendiquées vegan. Une gamme de produits variés allant de la mayonnaise végétale aux compléments alimentaires surprotéinés en passant par des laits végétaux et des dérivés de produits de la mer développés en solo ou en joint-venture et destinés à valoriser les nombreuses vertus des algues. Autant d’expériences qui ont permis à la jeune pousse de se faire connaître et d’affiner son procédé tout en réalisant que sa principale valeur ajoutée était dans la R&D et son potentiel d’innovation, non dans la distribution. D’où un recentrage sur l’activité en B2B. Une période de rationalisation et de réflexion qui a été conclue par une campagne de financement finalisée en 2022 et à laquelle Noshaq s’est joint. C’est après celle-ci que Ludovic d’Otreppe se familiarise avec la société, d’abord en tant que consultant indépendant. Bruxellois et ancien Directeur du département de la Recherche ESG chez Moody’s, le jeune homme se voit alors confier la mission de retravailler le business model dans un monde post COVID. Une période de quatre mois durant laquelle il travaille main dans la main avec le comité de direction avant de se voir proposer le poste de CEO, qu’il accepte volontiers, convaincu du potentiel de la société : « Ça a été une intégration extrêmement confortable pour moi, car pendant plusieurs mois, je travaillais déjà aux côtés de Clémence et de Jean-Paul, avec qui nous formons un trio au centre de la gouvernance de l’entreprise ». L’occasion aussi pour Alvyn de se décharger de l’opérationnel tout en assurant la continuité stratégique depuis le Conseil d’administration où il siège.
Une période de transition durant laquelle la société revoit son plan pour la suite, consolide ses preuves scientifiques et prépare activement sa série B, prévue pour 2026 et qui doit lui permettre d’industrialiser son processus de fractionnement des algues pour étendre son offre déjà existante aujourd’hui. Une étape capitale pour laquelle le nouveau laboratoire parisien pilote est appelé à jouer un rôle déterminant, tandis que la société, qui a levé 28M€ à ce jour, clôture un tour de financement obligataire suivi par ses actionnaires qui ont ainsi renouvelé leur confiance dans le projet.
Paris-Liège
Depuis maintenant deux ans, avec sa première génération d’ingrédients, Algama mène une stratégie commerciale activement focalisée sur les industriels et sur la vente via des distributeurs. « Un parcours complexe dans un secteur où les exigences sont nombreuses et les cycles de vente longs, mais qui touche pourtant à son terme », explique Clémence Lanfry, qui se félicite de la mise sur le marché de trois produits phares intégrant l’ingrédient d’Algama : une gaufre vegan produite par Avieta et distribuée aux Pays-Bas et bientôt sur le marché Indien et Allemand, des madeleines produites par Paticeo et des cookies végans produits par La Fabrique – Cookies pour le marché européen. Des produits qui sont autant de victoires pour la société. Test ultime, l’équipe se concentre aujourd’hui sur la phase d’industrialisation, dont le laboratoire pilote doit poser les jalons avant de passer le relais à Castle Ingredients, un partenaire belge d’Eupen, spécialisé dans les procédés industriels et les ingrédients à base végétale. C’est à ce dernier que sera confiée la production à grande échelle, sous la supervision des équipes d’Algama.
Un partenariat win-win porté par Noshaq et applaudi par Ludovic : « C’est une des forces de Noshaq. Non seulement le groupe apporte un soutien financier et contribue au pilotage de l’entreprise via un siège au Conseil de Direction, mais il est aussi une véritable force de proposition et de mise en relation. Initialement, il était prévu qu’Algama ouvre une usine à Liège, mais l’industrialisation est toujours une étape délicate pour une start-up. Nous avons réalisé qu’il était préférable de nous concentrer sur notre métier, en travaillant avec des partenaires experts dans leur domaine. Noshaq a créé le lien entre Castle Ingredients. Aujourd’hui, tout le monde y gagne et nous limitons notre exposition aux risques inhérents à cette phase d’industrialisation ». Une manière d’avancer sereinement dans le passage du pilote stratégique à la production de masse tout en préparant la suite, tandis que des dizaines d’emplois devraient être créés dans la foulée, en grande partie en région liégeoise, pour assurer la production. Et de la suite dans les idées, on n’en manque pas chez Algama. Alors que notre visite touche à sa fin, Jean-Paul Cadoret ne peut s’empêcher de lever le voile sur ses prochaines recherches :
Nous ne sommes encore qu’aux prémices des possibilités que nous ouvre le fractionnement des algues. Désormais, notre bioraffinerie pilote va nous permettre d’aller encore plus loin, et de réfléchir à une valorisation nose-to-tail de l’ensemble des composantes obtenues par le processus. C’est une question d’efficience autant que de durabilité avec des débouchés dans l’alimentaire, mais aussi dans les biostimulants, voire dans la cosmétique et la biopharmacie. Nous avons le moyen de fractionner les algues et, dans la foulée, craquer les mentalités
Jean-Paul Cadoret, Chief Scientific Officer
Autant de perspectives encourageantes qui s’ouvrent désormais à Algama, qui reste pour l’instant focalisée sur l’industrialisation de son substitut d’œuf en poudre, consciente des enjeux qui se jouent : « La moitié des œufs consommés en Europe sont cachés dans les produits alimentaires transformés et proviennent essentiellement d’élevages en batterie qui ne respectent aucunement la réglementation européenne en vigueur sur les conditions d’élevage. Alors que l’Union européenne va continuer à renforcer la réglementation et la rendre encore plus contraignante pour le bien des consommateurs européens, de l’environnement et des animaux et que l’interdiction de l’élevage en cage se généralise dans le reste du monde, les industriels ont plus que jamais besoin d’ingrédients alternatifs », explique Ludovic d’Otreppe, qui préfère avancer avec prudence, conscient du risque qu’il y a à avoir les œufs plus gros que le ventre.
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